Liminaire
Le Corpus est une banque de données regroupant les occurrences du titre sAb à différentes époques de l'Egypte pharaonique, l'accent étant toutefois mis ici sur l'Ancien Empire et la Première Période Intermédiaire. Elle a initialement été hébergée par le Revue Egyptological avant d'émigrer vers The Egyptologists' Electronic Forum (Members Papers). L'élargissement des sources, compte tenu notamment de nouvelles publications, a généré des modifications et des adaptations de la base de données initiale. Afin d'éviter les désagréments dûs à l'accumulation de versions successives, il a été decidé de créer un espace informatique permettant une gestion interactive. De nouvelles données seront dès lors intégrées au fur et à mesure et les utilisateurs auront la faculté de faire valoir leurs observations et de contribuer à l'accroissement de la banque de données.
Il s'avère utile d'introduire la banque de données par un bref descriptif du titre sAb, emprunté à la première partie du Corpus.
Quel a été le cheminement menant d’un canidé à un titre qui fut largement répandu dans les titulatures d’Ancien Empire et qui se maintint (bien qu’avec une signification différente) jusqu’à la fin de l’Egypte pharaonique?
Et d’abord, de quel canidé s’agit-il ? L’hiéroglyphe E17 de Gardiner représente un animal qualifié de “jackal” dans l’Egyptian Grammar, d’un aspect élancé et élégant, aux pattes et à la queue longues. Ces qualités esthétiques caractérisent d’innombrables représentations peintes ou en relief de l’animal, in situ ou dans divers musées où il est généralement représenté passant. Au début de l’Ancien Empire, il peut toutefois être figuré en position assise ainsi que le signale Junker (PHrnfr, p. 69 [27-28])*.
Le hiéroglyphe dont question ne peut cependant être considéré comme la reproduction exacte d’un animal précis, et il faut pousser l’analyse plus loin ce que font Vernus et Yoyotte ( Bestiaire v° Chacal), qui retiennent le canidé-zAb et le canidé-wnS (pour la graphie voir Hannig, Lexica 2, p. 200) parmi les termes venant en considération pour s’appliquer au chacal. A l’issue d’un examen approfondi, ils arrivent à la conclusion que le chacal “zAb” pourrait s’identifier avec Canis aureus sudanicus (soit le “petit” chacal africain) tandis que le terme wnS “pourrait s’appliquer à des chacals dont le prototype est le Canis aureus lupaster”.
Le Quellec, (Art rupestre, p. 355) après avoir décrit les mœurs de Canis Aureus et les avoir comparées à celles du Lycaon, décrit les théranthropes à tête de canidé tels qu’ils apparaissent dans les gravures rupestres du Messak, où une distinction peut également être opérée entre les personnages à tête de lycaon et ceux à “museaux fins et oreilles pointues” dont le nombre est toutefois moindre. Ces théranthropes ressortent du domaine du mythe, matérialisant “les traces de héros ou de divinités invisibles” à telle enseigne que leur identification à des animaux existants n’est pas primordiale, même si “la détermination des espèces en question et l’étude de leurs mœurs pourraient contribuer à une meilleure connaissance du symbolisme mis en œuvre”.
Mon propos n’est pas de me substituer aux zoologues en identifiant l’animal incarné dans l’hiéroglyphe E17, mais d’essayer de discerner les raisons pour lesquelles le chacal a été appelé à représenter l’office du sAb. Junker (Giza VII, 198-9), citant Sethe, fait référence à l’action du magistrat instructeur qui a pour tâche de constater des faits (Tatsachen feststellen), ce qui présenterait des similitudes avec le comportement du chacal qui ne cesse d’aller et venir. Encore faudrait-il que la fonction essentielle du sAb s’identifie à celle d’un juge d’instruction - quod non.
Maspéro, s’inspirant de la vigilance de l’animal, y voit un parallèle avec la mission de surveillance du sAb à l’égard de ses collègues. Pareille mission ne paraît toutefois pas constituer la substantifique moelle de la tâche impartie au sAb.
D’autres encore sont d’avis que la technique de chasse des lycaons a impressionné les chasseurs primitifs dans une mesure telle qu’ils en firent le symbole de leur chef.
Il me semble qu’il existe un relatif danger à recourir à pareilles interprétations : Pline n’estimait-il pas en effet que le bec en forme de croissant de l’ibis, animal de Thot, symbolisait la salubrité parce que sa forme s’apparentait à celle du clystère ce qui lui “permettait d’irriguer cette partie de lui-même par laquelle la santé nous appelle à décharger les mets ?” (Chevalier, Dictionnaire des Symboles, p. 417).
Callender, dans un article consacré au titre «r nxn n sAb» (p. 361 sq.) est d’avis que le chacal constitue une référence au Roi, se basant pour ce faire sur certains passages des textes des Pyramides (voir également Wassell, Fauna, 47). L’animal s’identifierait plus particulièrement à la justice rendue par le souverain, d’où son assimilation par certains auteurs à la notion de «juge», ce qui expliquerait notamment le phénomène de prolepse signalé par de Cenival (cfr. infra). Lorsque la fonction de judicature fit l’objet d’une délégation royale au profit du vizir et, par la suite, d’autres notables l’on pourrait considérer que le chacal bénéficia d’une aura rémanente. Quid toutefois pour les porteurs du titre sAb se situant tout en bas de l’échelle, occupant une position subalterne qui n’est pas compatible avec une fonction de juge civil ou pénal (voir Junker, Giza, VII, p. 198-9) ?
Wilkinson (Complete Gods and Goddesses, p. 190-1) consacre en 2003 une notice au dieu Sed, dont il situe la première mention à la 5e dynastie (pierre de Palerme). Cette déité, très proche de l’idéologie royale et de la déesse Maât, possède la forme du chacal, identique à la graphie de sAb. Il serait un précurseur de Oupouaout, et pourrait avoir donné son nom à la fête Sed. Les mentions de ce dieu sont toutefois rares, et il suscite l’incertitude de Leitz (Lexikon der ägyptischen Götter und Götterbezeichnungen, OLA 11115, p. 715). Kaplony (Rollsiegel IIA p. 334, II B taf. 30) commente la relation entre le dieu sd et le toponyme Ht et mentionne dans la foulée le titre smsw Hat n sd dont question chez Fakhry (Sept tombeaux à l’Est de la grande pyramide, p. 27, fig. 18), dans lequel le chacal pourrait incarner le dieu sd
J’ai abordé autre part la question de la définition précise du terme sAb à l’occasion de son examen au regard des institutions à compétence juridictionnelle, ce qui m’a permis de constater le manque d’unanimité existant parmi les auteurs, ainsi qu’en atteste le sondage ci-après :
Altenmüller (Mehu, 1998) considère les sAb comme formant un ensemble (Gruppe) et traduit p.ex. la graphie sAb sS par “Schreiber aus der Sab Gruppe” en translittèrant sS (n) sAb.
Bonnamy & Sadek (Dictionnaire, 2010, p. 512) estiment que sAb est un dignitaire, membre de l’administration, sans fonction précise
Barbotin (Voix des Hiéroglyphes, 2005, p. 103) considère que les sAb forment «l’administration du chacal» (cfr de Cenival et Ziegler infra)
Brovarski (Senedjemib, 2000) traduit en règle générale : “dignitary” sauf p. 159 où il rend sAb imy-r sS par “magistrate and overseer of scribes”
Brugsch (Wörterbuch, VII, 1867-82, p. 1036) traduit : Richter
Budge (Dictionary II, 1920, p. 588) traduit : judge, chief, master (ce dernier par exemple dans sAb sS = master scribe)
de Cenival (Chechi, 1975, p. 62 sq.) est d’avis que “ l’élément sAb est mis en prolepse” et qu’un titre comme sAb imy-r sS doit se lire imy-r sS n sAb et se traduire par “chef des scribes du chacal”.
Faulkner (Dictionary, 1988, p. 209) traduit par : “dignitary of unknown rank - prefixes to titles = Senior”
Fischer (Scribe of the army JEA, 1959, p. 233-272) accorde à sAb la valeur de “magistrate”, et souligne in Bibliotheca Orientalis 1962, p. 244 qu’il ne s’agit pas d’un titre indépendant à l’Ancien Empire. Le même auteur traduit en 1996 sAb par “judiciary official” in Varia Nova III, p. 254.
Gardiner (Grammar, 1973, p. 460) traduit par : “dignitary, worthy”
Goedicke (Re-used blocks p. 72) signale : «the occurrence of the element sAb ... points to a judicial function».
Hannig (Lexica 2, 2003) traduit : “Magister (genaue Bedeutung noch unklar), Richter, Wanderrichter, Staatsdiener (ohne festes Ressort), Senior”. L’auteur signale que dans certains cas sAb constitue un titre autonome, tandis que dans d’autres il forme une entité avec le titre suivant selon la structure n + sAb ( = du sAb)
Harari (Contribution, 1950, p. 20, note 2) considère que sAb équivaut à un “stagiaire de l’organisation judiciaire (memphite)”.
Helck (Beamtentitln, 1954, p. 82-3) après avoir mis en exergue que le titre n’est jamais mentionné seul (sAb allein kein selbständiger Titel ist, sondern immer nur vor andere Titel antritt) accorde à son titulaire des compétences juridiques (juristische Aufgaben) et lui associe le pouvoir de dire le droit (die Gewalt der Rechtsprechung).
Junker (Grabungen Giza VII, 1947, p. 198-9) traduit sAb par Richter, suivant en cela “l’usage immémorial (Uralten Gebrauch)” auquel se réfère Sethe. Il formule toutefois d’expresses réserves quant au fait qu’un sAb sS qui occupe une fonction subalterne serait appelé à assumer les importantes responsabilités imparties au juge civil ou pénal (Man kann sich auch nicht vorstellen daβ ein sAb sS, der offenbar einen ganz niederen Posten hatte, schon das verantwortungsvolle Amt eines Richter ausübte und in Zivilprocess oder Strafprocess ein Urteil fältte). Seul les titulaires des fonctions supérieures de sAb imy-r sS et de xrp sS pourraient se connecter à l’exercice de la judicature (Ausübung der Richteramts).
Kaplony (Rollsiegel II, A, 1981, p. 297) traduit par : “(Ober) Richter”. Il s’interroge quant à ce que de Cenival entend par “du chacal”.
Krejci e.a. (Werkaure, 2014, p.269) estiment, dans le contexte du titre sAb iry nxn que le chacal fait référence au roi, sentiment partagé par Barta (Sun Kings of Abusir, 2013, p. 24-5).
Lacau (Stèle juridique 1949, p. 19) estime que le sAb possède des attributions juridiques. Il existerait une gradation entre les titulaires du titre (cfr. le “simple” sAb Neb-sw-menou qui est témoin et Renseneb qui joue un rôle actif dans le processus de transfert de la propriété et dans l’approbation subséquente en qualité de sAb dans un premier temps et de smsw HAyt ensuite). Lacau ne fournit pas une traduction précise du titre sAb.
Lehman (Serdab 2000, vol. 1, 163) analyse le terme sAb dans le cadre de son étude sur le serdab dans les tombes privées à l’Ancien Empire et cite notamment Junker qui opère la comparaison avec un «Rechtskundigen, Kenner der Gesetze» qu’elle estime être une suggestion plausible, en ajoutant «So könnte man also sAb als eine Art Titelzusatz bezeichnen, die dem Träger zusätzliche juridische Kenntnisse bescheinigt..».
Lippert (Einführung 2008, p. 28-9 et 262) traduit par «Richter» (sous réserve, compte tenu du point d’interrogation)
Maspéro (Etudes égyptiennes II, 1888, p. 143) est d’avis “que sAb s’ajoute devant certains titres pour indiquer un grade supérieur de ce même titre”, et traduit par “maître” (sAb sS = maître scribe)
Menu (Lexique, 1997, p. 177) traduit par : dignitaire
Moreno-Garcia (Etudes, 1997, p. 168 sq.) ne reprend pas sAb dans sa liste d’indices et n’en fournit donc pas de traduction. Analysant le titre zAb a(n)D-mr (grgt et le titre ‘(n)d-mr grgt », 1996, p. 116-138) l’auteur estime que son titulaire «ne semble pas avoir eu un rapport quelconque avec l’administration territoriale égyptienne», l’élément zAb indiquant «probablement la condition d’un dignitaire dépendant directement du bureau du vizir» faisant dès lors partie de « la branche centrale de l’administration de l’état (…) attaché aux archives et bureaux centraux de la capitale ». Le titre zAb a(n)D-mr constituerait une variante du titre a(n)D-mr, désignant les titulaires «résidant à Memphis, dans l’entourage royal, qui contrôlaient toutes les affaires du royaume». Lorsque la gestion des affaires provinciales passa entre d’autres mains, les zAb a(n)D-mrw se virent confier la direction des scribes des bureaux viziraux.
Nuzzolo (Sun temple Personnel 2010, 298) situe sAb dans la sphère juridico-légale qu’il intègre dans l’appareil administratif de l’Etat pharaonique. Il ne fournit pas de traduction.
Philip-Stéphan (Dire le droit, 2008) ne traduit pas, et conserve le terme sAb tel quel.
Pirenne (Institutions I, 1934-5) traduit par : juge, et précise (p. 193) que le “titre de sAb semble marquer une capacité spéciale indispensable pour faire partie de l’ordre judiciaire”. Approfondissant l’examen du titre (vol. II, p.125 e.s.) il souligne “que le sAb est manifestement un juge, ou un personnage directement attaché à l’administration de la justice” à un niveau supérieur. Exception faite des sAb heri seker, sAb n hery oudjeb et sAb sesh n oupet le titre n’est porté par aucun fonctionnaire des départements administratifs. Pirenne se penche également sur la teneur des titres de sAb sesh, sAb sehedj sesh et sAb imira sesh ainsi que sur la gradation hiérarchique qui les caractérise.
Regulski (Palaeographic Study 2010 p. 105 et 384-5) reprend le signe E17 dans sa banque de données paléographique et lui accorde la valeur de «senior dignitary».
Strudwick (Administration, 1985, p. 178) fait état de “links with legal administration” dans le chef du sAb et réfère à Helck (cfr. supra).
Théodoridès (Rôle du vizir,1962, p. 64, note 61) traduit par “fonctionnaire judiciaire”, tout en attirant l’attention sur les autres alternatives (juge, terme honorifique, dignitaire).
Trapani (Dévolution des fonctions, 2015, p. 25, n° 145) opte pour un «dignitaire appartenant à la branche centrale de l’administration de l’Etat», et renvoie à de Cénival, 1975. L’auteure traduit sAb sS par scribe de l’Etat, sAb sHD sS par inspecteur des scribes de l’Etat et sAb aD mr par administrateur de l’Etat (voir p. 37), titre auquel elle ajoute dans certains cas celui de «sous-ordre du Roi» (voir p. 35).
Valloggia (“Messagers” (wpwtyw), 1976, p. 305) traduit par : “dignitaire, juge”
van de Walle (Neferirtenef, 1978 p. 17, note 38) signale que sAb est souvent rendu par “juge” tout en observant que le sens équivaudrait peut être mieux à “légiste”, référence faite à Mrsich, Hausurkunde p. 131 et passim (“Rechtskundiger”).
Ziegler (Catalogue des stèles, peintures et reliefs, 1990) partage le sentiment de de Cenival, en traduisant par exemple sAb aD mr par : «administrateur du chacal» (voir nt. p. 96-9), ce que l’auteur confirme dans le catalogue Art Egyptien au temps des pyramides (1999), pp. 322 et 371.
Depuis la mise en ligne de ce liminaire en 2017, je me dois de signaler l'ouvrage majeur de Emilie Martinet concernant l'Administration provinciale sous l'Ancien Empire égyptien, paru chez Brill en 2019 dans la collection Probleme der Ägyptologie (Band 38, 2 vol.). L'auteure voit dans le terme sAb l'appartenance à une filière d'Etat.
L’examen de ce florilège permet de constater que la traduction du terme sAb oscille entre juge et dignitaire en passant par fonctionnaire, légiste, stagiaire, membre de l’administration du chacal ou de la justice, parmi d’autres. Certains y voient un marqueur hiérarchique, ou préfèrent ne pas traduire le titre. J’y vois personnellement un «juriste» possédant des capacités particulières en matière de droit et de gestion, qualification lui permettant d’accéder à un éventail de fonctions, parmi lesquelles la pratique de la justice, sans pour autant l’assimiler nécessairement à un juge.
*Le lecteur voudra bien se reporter à la section Bibliographie du site pour les coordonnées des ouvrages cités.
E. VANDE WALLE
février 2020