Les Presses de l'Université Paris-Sorbonne accueillirent en 2014 dans leur excellente collection Les Institutions dans l'Egypte ancienne dirigée par Dominique Valbelle l'ouvrage de Serena Esposito consacré à l'administration égyptienne du désert occidental de l'Ancien au Nouvel Empire.
La matière est divisée en trois chapitres, selon une progression chronologique, allant de l'Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire (ch. I) au Moyen Empire et à la deuxième Période Intermédiaire (ch. II) pour se terminer par le Nouvel Empire (ch. III).
Le chapitre I comprend les divisions suivantes :
-toponymie
-administration des zones désertiques à l'Ouest du Nil
*titres et rôles des fonctionnaires de la IIIe à la VIe dynastie
*changements historiques pendant la PPI
*défense du désert : police et postes de contrôle
-chemins et itinéraires du désert
Le chapitre II s'articule autour de :
-l'évolution de la toponymie
-la politique et l'occupation égyptiennes dans le désert occidental après la PPI
*le repeuplement des oasis et le début des nouveaux contacts avec la Vallée du Nil
*les fonctionnaires égyptiens d'après les sources écrites retrouvées dans le désert occidental
-les liens entre le désert occidental égyptien et la Nubie.
Le chapitre III traite :
-des changements dans la toponymie et l'apparition de nouveaux toponymes
-de l'évolution des liens entre le désert occidental et l'administration égyptienne
*l'apport des sources écrites de la Vallée du Nil
*les sources écrites et les données archéologiques enregistrées dans les oasis et le long des postes désertiques
-des nouveaux itinéraires du désert entre l'Egypte et la Nubie
Les annexes regroupent :
-une carte des principales pistes caravanières entre les oasis et la Vallée du Nil
-une carte des principales pistes entre l'oasis de Kourkour et la Vallée du Nil
-4 tableaux récapitulatifs des titres et des épithètes portés par les fonctionnaires ayant eu une charge administrative dans le désert occidental et de ceux qui apparaissent dans les documents retrouvés dans le désert occidental dans les périodes couvrant l'Ancien Empire et la PPI (Tab. 1 & 2), le Moyen Empire et la DPI (Tab. 3 & 4) ainsi que le Nouvel Empire (Tab. 5).
Enfin, l'ouvrage comprend une abondante bibliographie outre une liste de noms de lieux, de dieux, de rois, de particuliers et de toponymes ainsi qu'un relevé de titres et d'épithètes
Citant les propres termes de l'auteure, l'objectif de l'ouvrage est d'isoler les titres des fonctionnaires égyptiens chargés du contrôle des oasis et des routes du désert occidental et de comprendre l'évolution de leur fonction au cours de l'histoire. La nature et le lieu de découverte de certains documents fournissent également des indices importants afin d'expliquer l'existence d'installations urbaines et de routes au milieu d'une région aride, très pauvres en ressources minières.
Serena Esposito remplit parfaitement la mission qu'elle s'est fixée . Elle nous fournit un panoptique des titres en vigueur dans le milieu ciblé, et situe les titulaires dans leur environnement, tout en analysant l'évolution au fil du temps et en marquant les modifications pouvant intervenir dans la teneur des fonctions.
Qu'en est-il au niveau de l'activité judiciaire ?
La liste des titres et épithètes ne mentionne pas d'occurrences contenant le marqueur sAb, alors que par exemple mTn et pH-r-nfr sont tout deux sAb nxt xrw et que l'on pourrait s'interroger quant à l'éventuelle incidence de pareille activité sur d'autres fonctions leur étant imparties (comme par exemple aD mr smyt).
Par contre, concernant le titre wHmw (porte-parole) porté à l'Ancien Empire par rnsj et dSrw l'auteure précise qu'il est généralement accordé à des personnages de haut rang, sans doute des exécuteurs du pouvoir judiciaire (p. 30) et fait notamment référence à l'article de A. Gasse (Bifao 1988, 83-94) qui décrit la fonction et son évolution depuis le Moyen Empire dont son aspect judiciaire, bien que le titre trouve à s'appliquer dans d'autres contextes (voir nt. Hannig, Ägyptisch Wörterbuch II, vol. 1 p. 722-4) Il en est déjà fait mention à l'Ancien Empire dans la tombe de Kaimankh (Junker, Giza IV, p. 63) où il est dépourvu de toute dimension judiciaire, Junker traduisant en effet Befelhsübermittler, der die Kommandant der Piloten an die Steuerung weitergibt.
Le titre mdw rxyt (que l'auteure traduit par "défenseur du peuple") est considéré comme participant à des compétences juridiques. Claude Obsomer (Sésostris Ier, p. 554, n. e) y voit "une manière de désigner un avocat, soit un titre juridique". Nathalie Favry (Nomarque, p. 254) estime quant à elle que "cette séquence/titre est directement liée à l'administration légale du pays". A l'Ancien Empire le titre apparait fréquemment dans les titulatures, possédant une signification judiciaire. Alexandra Philip-Stéphan (Dire le droit, p. 52-3) le situe dans la "séquence juridictionnelles classique". Il concerne l'exercice de fonctions juridictionnelles après de populations spécifiques, et a pour tâche essentielle "d'arbitrer les querelles éclatant au sein de cette population et (de) régler les litiges les mettant en cause avec d'autres groupes". Signalons au Nouvel Empire le titre sAb n rxyt que Christine Raedler traduit Richter der Rechit. (voir sAb Corpus III, 02.13).
Dans un même contexte d'assistance (judiciaire) à certaines populations du désert, Serena Esposito mentionne en outre le titre imy-r s(my)w.t imnt(y)t.
Pour clôturer cette brève approche de l'activité judiciaire, épinglons dans l'index des titres et épithètes celui de imy-r SnT, traduit "commissaire de police (judiciaire)" chargé, au Moyen Empire, "du jugement des voleurs, de l'audition des coupables et de la direction des enquêtes", l'intéressé pouvant également être qualifié de "directeur des querelles". A ce sujet, il s'avère intéressant de consulter le "dossier" ddw-sbk (12e dynastie, sous Sésostris II) comprenant les stèles Louvre C 240 et BM 566 & 830 ainsi que la table d'offrandes CG 23035) qui brosse un véritable descriptif de fonction (voir également sAb Corpus II, p. 31-32 pour les compétences juridictionnelles de l'imy-r SnT et l'évolution du titre).
La contribution de Serena Esposito à l'étude du désert occidental, de son histoire, de ces institutions et plus particulièrement son analyse des charges détenues par les fonctionnaires qui y furent actifs constitue un outil précieux tant pour les chercheurs que pour les amateurs de l'ancienne Egypte.